La diversité biologique, ou biodiversité – terme apparu à la fin des années 1980 et consacré par le Sommet de la Terre tenu à Rio de Janeiro en 1992 – est devenue l'un des principaux enjeux dans la préservation de l'environnement mondial. Il s'agit non seulement d'inventorier tous les êtres vivants – végétaux, animaux, et même microbes – mais aussi de comprendre comment ils agissent les uns sur les autres afin de les préserver. Ainsi, ce concept prend en compte le nombre des espèces vivantes, leurs caractéristiques, et notamment leur matériel génétique, ainsi que les écosystèmes dans lesquels elles s'intègrent.
L'inventaire des espèces
Depuis fort longtemps, l'homme a classé les
êtres vivants par espèces, guidé par la notion intuitive que ceux d'entre eux
qui se ressemblent peuvent se croiser et donner des descendants à leur image.
Cette règle empirique permettant de définir l'espèce (« chat », « cheval », «
coquelicot », etc.) n'est pas très éloignée de la définition scientifique
retenue de nos jours.
L'inventaire systématique des espèces
d'êtres vivants présentes sur le globe a connu une première période faste avec
l'invention du microscope au XVIIe siècle, qui permet les premières avancées
dans le domaine de l'infiniment petit, puis avec les grands voyages
d'exploration du XVIIIe, puis du XIXe siècle (Bougainville, Cook, Humboldt…),
d'où les naturalistes rapportaient des collections de nouvelles plantes et de
nouveaux animaux découverts sous les tropiques. Selon un dénombrement effectué en1988,
on n'a identifié, décrit et nommé qu'entre 1700000et 1800000 espèces vivantes (toutes catégories
confondues, plantes, animaux et microbes), dont environ 1000000 d'espèces
animales, 220000 de plantes à fleurs et 4800 de bactéries. (Certains biologistes
estiment d'ailleurs que le chiffre de 1700000espèces
identifiées est à revoir à la baisse en raison d'un grand nombre de
«synonymes», c'est-à-dire d'espèces décrites plusieurs fois sous des noms
différents.) Mais les découvertes d'espèces n'ont jamais cessé : on trouve,
encore de nos jours, en moyenne deux espèces d'oiseaux nouvelles chaque année
dans les montagnes ou les forêts tropicales, une nouvelle espèce de baleine
chaque décennie, de nouveaux singes de temps en temps (par exemple, le
singe-lion à face noire au Brésil en1991); on peut encore citer une nouvelle
espèce de palmier identifiée en Australie à la fin des années 1970, trente-deux
espèces nouvelles de champignons dans le sud de l'Angleterre à la fin des
années 1980, et cent trente espèces nouvelles de blattes en Guyane en1991. On
pourrait facilement multiplier ces exemples. Manifestement donc, les espèces
connues ne sont que la partie émergée de l'iceberg, car plusieurs raisons
laissent à penser que le nombre des espèces présentes sur la Terre est
infiniment plus élevé.
La richesse du monde tropical
L'une de ces raisons, parmi les plus
importantes, est que la biodiversité est, de loin, plus riche sous les
tropiques, en raison des conditions de température, d'insolation et d'humidité,
très favorables à la prolifération des êtres vivants. Ainsi, sur les 9040
espèces d'oiseaux connues, près de 30% se rencontrent en Amazonie, et 16% en
Indonésie. Une étude portant sur une parcelle de 5km2 de forêt tropicale au
Pérou a permis de dénombrer 600espèces d'oiseaux (la France possède 537espèces
d'oiseaux sur l'ensemble de son territoire). Sur les 250000 espèces recensées
de plantes vasculaires, 170000 figurent sous les tropiques.
Autres exemples : on a estimé que dans un
seul hectare de forêt tropicale au Panamá, on peut trouver plus de 43espèces de
fourmis (la plupart non encore identifiées), autant que dans l'ensemble des
îles Britanniques. Une parcelle de 1000m2 de forêt tropicale est peuplée en
moyenne de 300espèces de plantes, contre moins d'une centaine sur une parcelle
équivalent en région tempérée. Le département de la Guyane (90000km2) abrite
autant d'espèces de plantes que la France métropolitaine (500000km2). En fait,
on pense que les forêts tropicales humides du monde entier contiennent plus de
la moitié des espèces d'êtres vivants de la planète, alors qu'elles ne couvrent
que 6% de la surface totale des continents.
L'inventaire des espèces au sein des forêts
tropicales est encore loin d'être réalisé, comme l'a montré le biologiste
américain Terry Erwin en 1982. Ce dernier a imaginé de placer un «canon à
insecticide» sous certains arbres bien choisis de la forêt du Panamá, sous
lesquels avaient été préalablement tendues des bâches en forme d'entonnoirs,
conduisant à des récipients remplis d'alcool. L'insecticide projeté dans la
couronne des arbres – qui atteignent couramment plus de 40m de hauteur – tue
les myriades d'insectes vivant dans les feuillages et sur les branches; ceux-ci
tombent en pluie sur les bâches, d'où ils glissent vers les récipients
permettant de les conserver; ils peuvent ensuite être examinés à loisir par les
entomologistes. Sur la couronne d'une seule espèce d'arbre appartenant à la
famille des légumineuses, Erwin a ainsi dénombré 163 espèces de coléoptères.
Comme on estime à 50000 le nombre des espèces d'arbres tropicaux, il y aurait
donc potentiellement 8150000 espèces de coléoptères sous les tropiques. Or, les
entomologistes n'en ont identifié à ce jour, sur l'ensemble de la planète, que
290000.
Le monde des océans
Mais il existe d'autres «continents»
inexplorés. Les océans couvrent 71% de la surface terrestre et constituent 90%
de la biosphère. Or la diversité génétique du milieu marin est
vraisemblablement supérieure à celle des continents. Jusqu'à présent, 200000espèces
animales marines ont été décrites, soit près de 10fois moins que les espèces
terrestres, environ 20000espèces végétales, et un nombre encore infime de
micro-organismes (bactéries, champignons, protozoaires, etc.). Régulièrement,
de nouveaux organismes sont d'ailleurs identifiés, mais on estime par exemple
que 99% des bactéries marines restent à découvrir, notamment dans les
sédiments. Les grands fonds marins constituent d'ailleurs un exemple
particulièrement remarquable ; après l'expédition danoise du Galathea qui, en
1951-1952, fit la preuve définitive de l'existence de bactéries et
d'invertébrés à 10000mètres de fond, les années 1970-1980 virent la mise en
œuvre de submersibles capables d'explorer les grandes profondeurs (comme le
sous-marin Alvin) et qui rapportèrent des photos et des échantillons montrant
qu'à 2500m de fond peuvent vivre en certains endroits, notamment autour de
sources d'eau chaude, des foules de vers annélides, des crustacés, des
mollusques et d'autres animaux qu'on ne trouve nulle part ailleurs. En faisant
la synthèse des observations obtenues jusqu'en1991, J.F. Grassle a estimé que
le nombre des espèces animales des grandes profondeurs pourrait être de
plusieurs dizaines de millions.
L'infiniment petit
Le
monde des microbes, et particulièrement celui des bactéries, reste aussi
largement inexploré. Ce sont surtout les bactéries utiles à l'homme
(productrices d'antibiotiques, par exemple) ou dangereuses pour notre espèce
(car responsables de maladies) qui ont été identifiées: les 4800 espèces
reconnues témoignent, sans aucun doute, d'une grossière sous-estimation. En1990,
des chercheurs norvégiens ont, par des méthodes biochimiques indirectes, estimé
que dans un seul gramme de terre provenant d'une forêt de leur pays, il y avait
sans doute entre 4000 et 5000 espèces de bactéries ; le résultat est identique
lorsqu'on analyse les sédiments marins déposés en eau peu profonde au large de
la Norvège. Si l'on songe aux milliers de micro-environnements, tous
différents, qui existent à la surface de la planète – les morceaux de bois
pourrissant sur le sol, les grains de sable apportés par les eaux de
ruissellement, les strates géologiques, où l'on trouve des bactéries jusqu'à
500m au-dessous du sol, la surface et l'intérieur du corps des millions d'espèces
d'arthropodes qui les hébergent, à la façon dont l'homme abrite la célèbre
Escherichia coli dans son intestin, etc. –, on peut souscrire à l'hypothèse du
biologiste américain Edward O. Wilson, qui, dans la Diversité de la vie, paru
en 1993, estime qu'il y a des millions d'espèces de bactéries qui n'ont jamais
été étudiées, «trous noirs» de la biodiversité.
Le clonage d'un gène
D'autres groupes taxinomiques, à l'instar
des insectes et des bactéries, sont également très sous-estimés. Cela pourrait être
le cas des champignons : le biologiste britannique David Hawksworth a établi
qu'il pourrait y avoir une proportion de six espèces de champignons pour une
espèce de plantes vasculaires, de sorte qu'il devrait y avoir 1500000 espèces
de champignons, alors qu'on n'en a identifié que 69000 à ce jour.
Des estimations divergentes
Sur la base de ces diverses constatations,
plusieurs auteurs ont procédé à des extrapolations pour évaluer le nombre
d'espèces pouvant exister actuellement à la surface de la Terre. Peter Raven,
directeur des jardins botaniques du Missouri, a fait observer que chez les
mammifères et les oiseaux il y avait en moyenne deux espèces tropicales pour
une espèce figurant dans la zone tempérée ; en faisant l'hypothèse que cette
proportion est généralisable aux insectes, et sachant que ceux-ci constituent
les trois quarts des espèces connues, il avance un nombre d'espèces animales
total de 3 à 5millions. De son côté, Erwin est parti du nombre d'espèces de
coléoptères dans le couvert forestier tropical. Sachant que ces derniers
représentent 40% des espèces d'arthropodes (insectes, araignées et crustacés),
il arrive au chiffre de 20millions d'espèces d'arthropodes pour la cime des
arbres. Et, comme il y a deux fois plus d'espèces d'arthropodes dans cet
habitat qu'au sol, cela donne 30millions d'espèces d'arthropodes dans les
régions tropicales. Or, les arthropodes représentent 87,5% des espèces animales
connues. Il pourrait donc y avoir, sur cette base, 40millions d'espèces
animales sous les tropiques, et, si l'on estime que celles-ci représentent la
moitié de la biodiversité planétaire, on arrive au chiffre de 80millions pour
l'ensemble de la Terre.
En1990, Nigel Stork a repris les hypothèses
d'Erwin en se servant de données provenant de Bornéo, de Grande-Bretagne et
d'Afrique du Sud; il est arrivé à une estimation de trois à six fois inférieure
du nombre des espèces tropicales d'arthropodes – ce qui conduirait pour la
planète à un nombre d'espèces animales compris entre 14 et 27millions. En1991, Kevin
Gaston s'est rangé aux côtés d'autres spécialistes des insectes pour déclarer
que le nombre de leurs espèces sur toute la Terre devait être compris entre 5
et 10millions, ce qui limiterait le nombre des espèces animales sur la planète
à un total situé entre 7 et 14millions. Mais Wilson a fait remarquer, en 1993,
qu'on pouvait aussi bien partir de l'estimation haute d'Erwin et même la
surévaluer pour tenir compte des millions d'espèces de bactéries non recensées,
des invertébrés des grands fonds, ainsi que des groupes taxinomiques tels que
les champignons. On peut atteindre ainsi le chiffre de 100millions d'espèces,
sans que personne puisse dire qu'il est plus invraisemblable que les
précédents.
Multiplier les inventaires
Pour résoudre cette énigme scientifique,
Wilson propose d'instaurer des programmes de recensement de la biodiversité sur
une échelle de plus en plus ambitieuse. Divers organismes (privés, publics ou
internationaux) se consacrent déjà à un tel inventaire dans les régions du
monde où la biodiversité est en train de s'éroder à grande vitesse (il s'agit
surtout de certaines zones tropicales en voie de déforestation, en Amérique du
Sud, en Inde…). Aux États-Unis, la fondation Nature Conservancy a entrepris le
recensement de toutes les espèces de plantes et de vertébrés en danger
d'extinction du fait des activités agricoles et industrielles sur l'ensemble du
territoire américain, et a récemment étendu ce programme à quatorze pays des
Caraïbes et d'Amérique latine. Mais le Costa Rica est le premier État au monde
qui ait mis sur pied un Institut national de la biodiversité, dont le but est
de faire l'inventaire de toutes les espèces de plantes et d'animaux présentes
dans le pays – et non seulement de celles qui sont en danger d'extinction – et
de se servir de cette information pour améliorer l'état de l'environnement et
de l'économie. Sur la base de cet exemple, Wilson suggère de multiplier ce type
de centres à la surface de la planète, afin d'arriver à un inventaire exhaustif
de l'ensemble des espèces. Sur le plan technique, il estime que la tâche se
situe parfaitement dans le domaine du possible: des analyses biochimiques
informatisées permettront de comparer les acides nucléiques (constituant le
patrimoine génétique) des bactéries; des procédures photographiques
automatisées permettront de comparer les espèces microscopiques de protozoaires
ou les espèces minuscules d'insectes ou d'arthropodes, observées en microscopie
optique à balayage. Wilson estime qu'avec 25000 spécialistes de taxinomie (ce nombre
de scientifiques représente moins de dix pour cent de la population des
scientifiques en activité aux États-Unis), on pourrait arriver à faire en
cinquante ans l'inventaire de 10millions d'espèces, même sans l'assistance de
l'informatique.
Outre la solution d'une énigme
scientifique, cet inventaire est susceptible de retombées bénéfiques pour
l'humanité entière. Sur les 220000 plantes à fleurs connues, vingt espèces
seulement fournissent de nos jours 90% de l'alimentation mondiale en végétaux –
trois d'entre elles, le blé, le maïs et le riz, en procurent plus de la moitié.
Dès à présent, on sait que de nouvelles plantes pourraient être cultivées de
façon extrêmement rentable, notamment par les populations du tiers-monde, tel
le haricot ailé de Nouvelle-Guinée, dont les feuilles, les gousses, les graines
et les tubercules sont comestibles.
Par ailleurs, il faut noter que plus de 40%
des médicaments proviennent des êtres vivants, en premier lieu des plantes et
des micro-organismes: ainsi l'aspirine (à l'origine extraite de l'écorce de
saule) et les antibiotiques, comme la pénicilline (tirée d'un
micro-champignon). Ces dernières années, des médicaments anticancéreux ont été
extraits de la pervenche rose de Madagascar (la vinblastine) ou de l'if du
Pacifique (le taxol) et sont désormais d'un usage thérapeutique courant. En
Chine, on utilise à des fins médicinales des extraits tirés de six mille
espèces de plantes sur les trente mille connues dans le pays. Merck, la plus
importante firme pharmaceutique du monde, a accepté de verser un million de
dollars à l'Institut national de la biodiversité du Costa Rica pour que
celui-ci lui envoie les échantillons les plus prometteurs sur le plan médical
des espèces nouvelles qu'il découvrirait au cours de ses investigations.
Crise et enjeux de la biodiversité
Peter Raven estime que nous sommes
peut-être en train de perdre cent espèces par jour, chiffre qu'Edward O. Wilson
et Norman Myers ramènent à la moitié. Quoi qu'il en soit, et au-delà des
chiffres, l'ensemble des scientifiques estime que ce qui se produit de nos
jours n'est pas seulement la perte d'espèces individuelles: il s'agit bien
d'une crise qui menace la biodiversité dans son ensemble.
Les experts insistent sur les interactions
écologiques: il ne s'agit pas seulement du nombre d'espèces vivantes; il faut
également, voire surtout, prendre en compte les interdépendances. Ainsi, selon
Myers, «les conséquences écologiques de la dégradation et de la destruction des
forêts tropicales affectent bien plus de monde que les 200millions d'habitants
de ces forêts. Quarante pour cent des paysans des pays en développement vivent
dans des zones agricoles qui dépendent des eaux de la forêt». Or, on a par
exemple calculé, en Asie du Sud-Est, que la canopée d'une forêt vierge intacte
est capable d'absorber jusqu'à 35% des eaux de pluie ; après défrichement, ce
taux tombe à 20% ; il n'est que de 12% dans les plantations de caoutchouc. (La
canopée est la partie sommitale de la forêt tropicale ; la vie, comme dans
toutes les zones intermédiaires, y est particulièrement riche, avec une
diversité biologique des plus élevée, comme l'ont démontré les études menées en
Amazonie à bord du «radeau des cimes», sorte de grand laboratoire implanté au
sommet des arbres.) Et il ne s'agit là que d'une illustration de l'impact des
activités humaines – en l'occurrence forestières et agricoles – sur la
biodiversité et le cycle de l'eau.
Le Sommet de la Terre
C'est la Conférence des Nations unies sur
l'environnement et le développement (CNUED), tenue à Rio de Janeiro en1992, qui
a révélé les enjeux de la préservation de la biodiversité au-delà du cercle des
seuls experts. Plus connue sous le nom de Sommet de la Terre, la CNUED a adopté
une convention sur la diversité biologique entrée en vigueur le 29décembre
1993. Cette convention engage en principe les États signataires à s'associer en
vue de préserver la biodiversité planétaire, sans les y contraindre par des
mesures précises; elle consacre le droit de chacun d'eux à tirer profit de ses
propres ressources biologiques; enfin, elle proclame le droit d'accès de tous
les pays aux technologies – et notamment aux biotechnologies – qui peuvent être
utiles à la conservation ou à l'exploitation des ressources biologiques. Ce
dernier point est le plus discuté: il pose à la fois le problème des banques de
gènes d'espèces végétales, banques qui se situent pour la plupart dans les pays
du Nord, et de l'accès des pays du Sud à ces banques, à des coûts non
prohibitifs; de plus, il ne résout pas la question des droits des agriculteurs,
notamment des droits liés à l'obtention des variétés végétales par les
agriculteurs eux-mêmes.
Or, selon la Banque mondiale, il existe entre population, agriculture et environnement «des interactions vitales dont dépend la viabilité du développement», et la CNUED a montré que la biodiversité est au centre de ces interactions.
Agriculture et biodiversité
L'impact négatif de l'industrie, de la
déforestation, de la fragmentation des habitats naturels et de l'urbanisation
sur la biodiversité est démontré et reconnu par toute la communauté
scientifique; il en va de même de l'extension des superficies cultivées ou
consacrées au bétail. Cependant, la préservation de la biodiversité, si elle
est un enjeu réel, ne peut être envisagée en dehors de ses implications
sociales et économiques au niveau mondial; on ne peut en effet imaginer
plusieurs réserves mondiales de biodiversité à l'image des parcs naturels: on
ne conserverait ainsi qu'une infime partie des espèces biologiques.
Pour la Banque mondiale, il s'agit plutôt
d'«intégrer la biodiversité dans le
développement agricole». En1998, ses experts traçaient le constat suivant : «Un
habitat naturel où se développe une activité agricole voit sa biodiversité
diminuer sensiblement: les espèces végétales endogènes sont remplacées par un
petit nombre d'espèces introduites (généralement allogènes et identiques aux
végétaux récoltés dans d'autres régions); les espèces sauvages sont déplacées,
et les pesticides détruisent insectes et micro-organismes.»
La solution serait d'abord de cesser de
subventionner la conversion des habitats naturels en zones agricoles,
d'orienter l'agriculture vers une intensification de l'exploitation et non vers
une expansion des surfaces cultivées, enfin et surtout de rentabiliser la
préservation de la biodiversité (du «matériel biodivers»). Pour cela, il
faudrait envisager l'attribution, aux agriculteurs ou aux communautés «traditionnelles»
qui récoltent ou cueillent certains végétaux, d'un titre de propriété sur le
matériel biodivers, ce qui en garantirait «une bonne utilisation», toujours
selon les mêmes experts. Ainsi, les variétés seraient exploitées pour leur
usage alimentaire, thérapeutique, cosmétique ou autre, et c'est le marché
lui-même qui freinerait les atteintes à la biodiversité.
Cette orientation de la Banque mondiale
fait cependant suite à des mesures radicalement contraires, mises en œuvre par
les organismes de l'ONU durant les années 1950-1980, et connues sous le nom
générique de «révolution verte». La révolution verte avait pour but
l'autosuffisance alimentaire des pays du tiers-monde notamment; or, son
instrument privilégié fut l'introduction massive de monocultures allogènes à
haut rendement, aujourd'hui reconnues comme hautement nuisibles à la
biodiversité.
D'une part, les variétés introduites le
sont aux dépens des variétés locales. Ainsi, les variétés de riz à très haut
rendement créées par l'IRRI (Institut international de recherche sur le riz,
installé aux Philippines) ont conduit à une diminution d'environ 80% du nombre
de variétés de riz cultivées en Inde; le même phénomène se retrouve pour le
maïs par exemple, avec les variétés produites par le CIMMYT (Centre pour
l'amélioration du blé et du maïs, établi au Mexique).
D'autre part, les variétés nouvelles sont
plus vulnérables aux maladies. En1977, la variété de riz IR-36 de l'IRRI fut
attaquée par deux virus auparavant inconnus, baptisés ragged stunt («avorton
broussailleux») et wilted stunt («avorton flétri»), ce qui, dans un contexte de
précarité alimentaire, pose de délicats problèmes. Les États-Unis ont connu une
mésaventure similaire en 1970-1971 lorsqu'une attaque de rouille a détruit
quelque 15% de la production de maïs, fragilisé par son uniformité génétique.
Il apparaît donc que la communauté
internationale prend conscience d'une donnée fondamentale: les monocultures
sont écologiquement instables, et, à l'inverse, tous les systèmes
écologiquement durables sont fondés sur la variété et la réciprocité des interactions.
Cependant, si les années 1990 marquent un tournant dans l'appréhension des
stratégies agricoles – la biodiversité en est devenue de fait l'un des points
clés –, les solutions proposées supposent toutes des décisions politiques et
économiques auxquelles aucun État ne semble préparé.
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